lundi 18 avril 2011

Démocratie 2.0 : Nous devons être des acteurs de notre histoire

Article de Marc Collin paru sur la tribune libre de vigile.net avec mon commentaire à la suite
Nous devons être des acteurs de notre histoire
Le mythe du Grand Soir
Commentaire de Claude Bariteau
Marc Collin
Tribune libre de Vigile
lundi 18 avril 2011      78 visites      5 messages


Dans une chanson très connue, Paul Piché affirme que les Québécois n’ont pas eu assez de misère. « Il nous faudrait l’enfer pour nous révolter ». Cette phrase résume une idée très répandue. Il faut que la situation pourrisse, afin qu’un jour les Québécois perdent pour de bon leurs illusions et réalisent que l’indépendance est la seule voie possible. Hier encore, je viens de lire cette pensée dans un commentaire : « voter en bloc pour le Bloc mais souhaiter l’élection d’un gouvernement conservateur majoritaire afin de créer chez le peuple québécois une grogne et une colère susceptibles de nous conduire à l’indépendance. » Malgré lui, Harper serait l’allié objectif des indépendantistes. L’indépendance doit, pour se réaliser, en passer par un Grand Soir. Le mythe du Grand Soir justifie une politique du pire.

Il est vrai que la dégradation de la situation du Québec au sein du Canada met les Québécois au pied du mur. Une sorte de logique de l’histoire vient leur botter le cul en les obligeant à faire un choix, à clarifier leur position. Leur ambivalence traditionnelle, leur manière de jouer constamment sur deux tableaux à la fois a de moins en moins sa place. Le troc de la menace de l’indépendance contre une multitude de privilèges qui feraient des Québécois des citoyens à part dans le Canada ne fonctionne plus. Il est de plus en plus clair que les Québécois doivent se soumettre, accepter d’être une province comme les autres et se considérer comme les membres d’une seule nation canadienne, ou partir.

La dégradation d’une situation peut avoir un effet bénéfique parce qu’elle provoque en retour une réaction énergique. Par exemple, la maladie peut nous amener à faire « enfin » des efforts pour prendre davantage soin de notre santé. Frapper la limite nous rend plus sage. De même les situations difficiles fouettent l’énergie d’un peuple. Après une guerre ou une catastrophe naturelle, l’effort de reconstruction met fin au chômage et ouvre une période de prospérité. Mais si un tel rapport de cause à effet entre une situation difficile et une réaction salvatrice peut souvent s’observer, en revanche il n’y a rien là d’automatique ni de nécessaire. Ce rapport de cause à effet n’est pas mécanique. Pour qu’une situation difficile entraîne une réaction énergique, encore faut-il que les acteurs aient la volonté, le talent et les moyens de relever le défi qu’elle pose. Et même quand ils ont tout cela, le résultat n’est en aucune manière garanti.

Pensons, par exemple, aux révolutions. Elles se présentent toutes comme des réactions salvatrices aux abus du despotisme. Certaines se sont révélées des succès, elles ont réussi à abolir des iniquités et des dominations inacceptables, elles ont imposé des principes de liberté, de droit ou de raison (qui ont pu ensuite être pervertis, mais c’est une autre histoire). Mais d’autres révolutions n’ont représenté que des étapes au sein d’un processus de désintégration. Elles ont conduit au chaos, à la barbarie, à la dictature. Bref, si l’histoire convie parfois les acteurs à des rendez-vous, il faut aussi que les acteurs y jouent leur rôle, afin que ces rendez-vous ne soient pas tout simplement ignorés, et pour que les opportunités qu’ils présentent soient menées à bon port. Et cela est loin d’être facile. Quelle est la différence entre les révolutions « réussies » — dans la mesure où une révolution peut l’être — et les révolutions « ratées » ? On pourrait en discuter beaucoup, mais je poserais l’hypothèse suivante : les révolutions réussies seraient davantage le fruit de l’essor d’une classe sociale ambitieuse et frustrée dans ses aspirations, tandis que les révolutions ratées seraient davantage le fruit de la dégénérescence de minorités dominantes décadentes. Les premières sont le produit d’une force montante, d’actions positives. Les secondes sont le produit d’un déclin, d’un pourrissement de la situation.

S’imaginer que la dégradation d’une situation se chargera pour nous de susciter une réaction salvatrice sans que nous ayons à intervenir en tant qu’acteurs, sans efforts et sans sacrifices, est un sophisme. Car la relation causale entre la dégradation de la situation et la réaction salvatrice qui s’ensuit n’est pas directe. Elle passe par les efforts et les sacrifices de ceux qui réagissent à cette situation. Attendre le pourrissement d’une situation pour faire des efforts et des sacrifices est un marché de dupe, parce que les mêmes efforts et sacrifices auraient pu être faits alors que la situation était favorable, et qu’ils avaient les meilleures chances de porter fruit. C’est aussi un jeu dangereux, parce que le mal engendre le mal et qu’il n’y a pas de fond à la dégradation des situations. Le résultat de la politique du pire menée par les partis communistes dans les années trente, où l’on croyait que le nazisme était « l’allié objectif » de la révolution internationale prolétarienne, constitue une démonstration tragique de ce fait. Pour enrayer le délire nazi, il a fallu infiniment plus de sacrifices humains que pour neutraliser la centrale de Tchernobyl. Et encore, tout comme dans le cas de Tchernobyl, le pire a été évité. Imaginons un instant que l’Allemagne ait gagné la course au nucléaire et réussi à mettre au point la bombe atomique pour en équiper ses missiles V2 ! Les défections de scientifiques allemands ont joué ici un rôle crucial. Il s’agit là de décisions humaines courageuses et non d’automatismes de l’histoire.

***

Le mythe du Grand Soir est issu des idéologies révolutionnaires. C’est l’image d’Épinal que les révolutions aiment se donner d’elles-mêmes. Selon cette image, un jour le peuple en a eu marre de crever de faim et s’est révolté. La misère et l’exploitation ont atteint un tel degré que les gens n’avaient plus rien à perdre. La frustration s’est accumulée comme dans un réservoir, puis elle a explosé. Selon le mot de Restif de la Bretonne, les gens ont cessé de croire au paradis et ont commencé à s’intéresser à l’« en-deça ». Bien sûr, les révolutions sont toujours des explosions de colère et de frustration. Bien sûr, elles résultent de la mort des croyances qui justifiaient l’ordre établi. Mais la relation causale entre le niveau de misère et l’émergence des révolutions n’est pas fondée historiquement. En fait, l’histoire nous démontre précisément le contraire : les révolutions sont des investissements dans l’avenir où les collectivités s’engagent quand elles ont les moyens de le faire.

Considérons, par exemple, le cas de la Révolution Française. Pendant tout le Moyen-Âge, les populations d’Europe vivent d’une agriculture de subsistance misérable. La courbe démographique suit une trajectoire en dents de scie qui se répète inlassablement : accroissement démographique, puis famines, épidémies et guerres qui déciment les populations. La grande majorité du peuple est réduite à un état proche de l’esclavage et les élites dominantes le saignent à blanc pour alimenter des guerres incessantes. Pourtant, sur une durée de mille ans, le Moyen Âge n’a connu que des révoltes paysannes, des jacqueries, mais pas de révolution. L’ordre médiéval a été l’un des plus stables de l’histoire.

À partir du XVe siècle, une série de transformations commencent à améliorer substantiellement les conditions de vie des populations européennes. De nouvelles cultures importées d’Amérique ou d’Asie permettent de diversifier l’agriculture et l’alimentation et de réduire la vulnérabilité aux conditions climatiques. Le progrès du commerce et la réalisation des routes permettent de mettre fin à la plupart des famines, qui étaient locales. Au XVIIIe siècle, la population européenne dépasse le seuil où elle avait toujours plafonné et commence à s’accroître régulièrement. Les villes se développent autour de l’industrie, du commerce ; les administrations se complexifient. Tout cela requiert une main d’œuvre de plus en plus qualifiée et instruite. Les fabriques forment des apprentis, les États créent de nouvelles écoles et des universités. Pour les gouvernements, il s’agit d’abord de répondre aux besoins de leur administration. Mais pour les populations, l’éducation représente surtout une opportunité de promotion sociale. Ces opportunités nouvelles éveillent parmi le peuple des aspirations en conséquence. L’ordre des choses n’est plus immuable ; on n’accepte plus sa condition ; il est possible d’en changer. Quand ces aspirations se répandent parmi la masse du peuple, la poussée populaire vers l’instruction dépasse rapidement les besoins. La croissance fléchit au moment même où plus de gens veulent y trouver leur place. Tous ces chômeurs instruits, dont les ambitions sont frustrées par les privilèges d’Ancien Régime, vont constituer la force de frappe de la Révolution française. Celle-ci n’a pas été engendrée par la misère. Elle est le fruit d’une croissance et d’une prospérité sans précédent. Cette masse de gens instruits qui ont alimenté la révolution en lui fournissant ses idéologues, ses cadres, ses journalistes, ses écrivains, ses députés, ses poètes, est le résultat d’un investissement collectif dans l’éducation, qui a été rendu possible par l’accroissement de la prospérité. Au Moyen-Âge, les gens du peuple n’avaient pas la possibilité de s’instruire, encore moins d’écrire des pamphlets, de participer à des États généraux et d’organiser des révolutions. Ils étaient trop occupés à survivre.

Il n’en va pas autrement des révolutions britanniques de 1641 et de 1688, dont des classes dynamiques étaient le fer de lance, et de la Révolution américaine. Loin de vivre dans la misère, les colonies de Nouvelle Angleterre étaient en surchauffe économique et démographique. Elles désiraient ardemment accroître leur territoire afin de poursuivre leur développement. Chez nous, le soulèvement patriote de 1837-1838 se produit dans la ceinture de villages, autour de Montréal, ou s’est développé une petite industrie prospère. Durant la bataille de Saint-Denis, Wolfred Nelson met généreusement sa distillerie à la disposition des insurgés pour en faire une place forte. La prospérité économique est le soutien de la révolution patriote. Ici aussi, une foule de lettrés de première génération, avocats, notaires et médecins, frustrés dans leurs aspirations professionnelles, fournissent les troupes de choc de la révolution. Cette brusque irruption d’une nouvelle classe sociale instruite et sans débouchés, au caractère si explosif, est aussi le résultat d’un accroissement de la prospérité. Les familles ont pu permettre à leurs enfants d’acquérir une éducation parce qu’elles en avaient les moyens. Le manque de nouvelles terres à défricher, dont l’accès est bloqué par un système de prévarication corrompu, ne devient un problème criant qu’en raison de l’accroissement démographique qui est, lui aussi, la manifestation d’une vitalité expansive. Tout comme les colonies américaines en 1775, le Bas Canada de 1830 était en surchauffe. Il bouillonnait d’aspirations nouvelles auxquelles les privilèges de la minorité et la domination coloniale faisaient obstacle. L’explosion de colère a été le fruit non pas de la misère mais de la croissance. Évidemment, on l’a souligné, les troubles ont été alimentés par la crise économique des années 1820. Mais comme c’est souvent le cas, cette crise ne représentait qu’un fléchissement au milieu d’une croissance générale, qui intervenait précisément au moment où les aspirations qu’elle avait suscitées étaient devenues très fortes.

La désintégration du bloc soviétique, à la fin des années quatre-vingt, correspond à un schéma bien différent. Même si les populations y ont joué un rôle important, et qu’on a donné au tout le nom de révolutions, le bloc soviétique s’est plutôt effondré sous le poids de sa propre inertie. Le gros ours avait résisté à des contestations très musclées et à des révolutions particulièrement bien réussies, comme la révolution hongroise de 1956 et le printemps de Prague de 1968, tous deux réprimés dans le sang. Mais il a été incapable de se réformer lui-même afin de faire face aux immenses difficultés qui le minaient de l’intérieur. Le mouvement d’ouverture et de réforme initié par Gorbatchev a dérapé. Si on ne pouvait que se réjouir de la chute du mur de Berlin et de ces dictatures infâmes, d’un autre côté les conséquences de la chute du communisme ont été plus souvent qu’autrement apocalyptiques : crise économique extrêmement sévère, faillite et fermeture des gouvernements et des services publics, qui n’étaient mêmes plus en mesure de verser leurs salaires à leurs employés, désintégration sous la poussée des nationalismes et de nombreuses guerres. L’Angleterre, la France et les États-Unis sont sorties de leurs révolutions plus fortes que jamais ; elles avaient le vent dans les voiles. Mais la chute du communisme a laissé la Russie affaiblie. Sa puissance et son influence internationale étaient anéanties. Si certains anciens pays communistes se sont assez bien tirés de cette crise, dans beaucoup d’autres, à commencer par la Russie, règne aujourd’hui un capitalisme d’une sauvagerie sans nom et des dictatures corrompues où l’opposition politique est traitée à coup d’assassinats et de cassages de gueule. Il n’est pas certain qu’on ait gagné au change.

Le sort de l’ex-Union soviétique nous laisse entrevoir ce que pourrait impliquer l’implosion de son rival, l’empire américain, et montre l’importance de parvenir à réformer nos sociétés de l’intérieur avant qu’elles ne se désintègrent. L’échec à faire face à des crises comme celle de l’ouragan Katrina et la marée noire dans le Golfe du Mexique, les crises financières, la faillite des grands constructeurs automobiles, la dette gigantesque, les scandales financiers à répétition, la montée de la droite religieuse irrationnelle, la perspective, complètement inédite, de la fermeture du gouvernement sont autant de signes avant-coureurs d’un effondrement américain qui pourrait se révéler aussi apocalyptique que celui de l’Union soviétique. L’analogie s’impose aussi avec l’évolution actuelle du Canada, structure trop vaste qui a su résister aux mouvements qui en menaçaient l’existence mais au prix de blocages et dysfonctions qui en ont lentement miné la vitalité. Le parti Libéral du Canada, rappelons-le, n’est pas tombé sous les coups du mouvement indépendantiste québécois mais sous le poids de sa propre corruption, et sa chute, aussi réjouissante fût-elle, ne s’est guère traduite par un progrès. Depuis que le gouvernement Harper préside aux destinées du pays, le recul est systématique sur tous les fronts. Le Canada perd rapidement sa souveraineté et est en train de devenir un État américain. Jusqu’à maintenant, le mouvement indépendantiste n’a pas profité du déclin de la souveraineté canadienne, pas plus qu’il ne semble profiter de celui du parti libéral du Québec, miné par les scandales de corruption et l’incompétence.

***

Il est bon de se rappeler que l’appui à la souveraineté du Québec a atteint son sommet historique en 1990, après l’échec de l’Accord du lac Meech. Pour la plupart des Québécois, le rejet de cet accord est resté dans la mémoire comme une provocation inqualifiable de la part du Canada anglais. En réalité, la signature de l’Accord du lac Meech a représenté le chant du cygne de l’influence prépondérante que le Québec exerçait dans le Canada, une influence bien supérieure à son poids réel dans le pays. Depuis les années soixante, la menace séparatiste avait été une des forces dominantes de la politique canadienne. Le combat pour l’unité nationale dominait l’agenda. Le « French Power » tirait sa force de la nécessité de montrer aux Québécois qu’ils avaient leur place dans le Canada. Tandis que les indépendantistes brandissaient leur menace, les fédéralistes québécois se trouvaient en position de force pour négocier des accords traduisant le principe d’un Canada fondé sur l’association de deux nations. S’il s’opposait farouchement à ce principe, le gouvernement Trudeau n’en multipliait pas moins les initiatives visant à contrer la menace : établissement du bilinguisme coast-to-coast, généreux programmes pour les francophones hors-Québec, politique de multiculturalisme, charte des droits et libertés, finalement rapatriement de la Constitution réalisé par coup de force en 1982. Aussi musclée soit-elle, la politique trudeauiste n’en était pas moins dominée par le problème québécois.

L’héritage de Trudeau a été très rapidement remis en question. En 1984, Brian Mulroney devenait Premier Ministre sur la promesse de réintégrer le Québec dans l’ensemble canadien « dans l’honneur et l’enthousiasme ». L’accord du lac Meech a été négocié avec Robert Bourassa en 1987. Outre la reconnaissance du principe de la dualité et de la « société distincte », cet accord comportait une disposition très concrète extrêmement intéressante qui aurait pu représenter une véritable autoroute vers la souveraineté du Québec, réalisée morceaux par morceaux : le droit de retrait avec compensation de tout programme fédéral dans un domaine de compétence provinciale. On comprend pourquoi les souverainistes québécois ont eu le sentiment de se faire couper l’herbe sous le pied et n’ont combattu l’accord que très mollement, et pourquoi les trudeauistes centralisateurs s’y sont opposés aussi farouchement. L’accord du lac Meech est venu à deux doigts d’être adopté. Des pressions formidables et des graissages de patte substantiels ont été adressés aux neuf gouvernements provinciaux du ROC pour qu’ils l’entérinent à l’intérieur d’un délai de trois ans. Le point tournant a été l’échec de la signature par la législature du Manitoba, dont un seul député, Elijah Harper, a été responsable. D’autres législatures en ont ensuite profité pour revenir en arrière après avoir donné leur accord de principe.

Si l’appui à la souveraineté du Québec a atteint le niveau historique de 72% après l’échec de l’accord du lac Meech, ce n’est pas parce que cet échec constituait la pire attaque que le Fédéral avait lancée contre le Québec — la nuit des longs couteaux et le rapatriement de la Constitution n’avaient pas suscité un tel mouvement populaire. Au contraire, la quasi réussite de l’accord avait permis aux Québécois de prendre conscience comme jamais de la force qu’ils représentaient, mais en même temps elle leur infligeait une frustration. Depuis plusieurs décennies, l’action des indépendantistes et des fédéralistes québécois avait concouru au même but : forcer le Canada à reconnaître la place du Québec comme nation distincte. Malgré leur opposition, ils faisaient équipe dans ce bras de fer : les premiers brandissaient la menace de l’indépendance, les seconds négociaient en utilisant cette menace comme moyen de pression. Au bout du compte, tous les yeux au Canada étaient tournés vers le Québec.

Les Canadiens anglais se sont mis à singer les Québécois en sortant eux aussi leurs drapeaux. Malgré le rejet de l’Accord, la prépondérance du rôle du Québec dans la politique canadienne n’avait jamais été aussi forte ; mais elle subissait, pour la première fois, un fléchissement. On reconnaît ici quelque chose de comparable à ces situations propices aux soulèvements révolutionnaires : pendant les années soixante, les aspirations des Québécois s’étaient lentement accrues, à mesure qu’ils développaient le sentiment de la force qu’ils représentaient. Le fédéral multipliait les cadeaux afin de corrompre les Québécois et les détourner de l’indépendance, et les indépendantistes, qui se voyaient déjà dans leur propre pays, considéraient ces tentatives avec mépris. Le sentiment d’oppression grandissant des Québécois ne découlait pas d’une aggravation de l’oppression qu’ils subissaient. Il découlait de la croissance de leurs aspiration, une croissance à la mesure de leurs succès.

Comme on le sait, le rendez-vous de 1990 a été raté. Robert Bourassa aurait pu déclencher tout de suite un référendum sur la souveraineté du Québec, mais il n’a pas voulu, selon ses propres termes, « affronter le vent froid de l’histoire ». Il a renégocié à la baisse le décevant accord de Charlottetown. Les médias ont rendu publique une conversation saisie sur le cellulaire d’une de ses conseillères, Diane Wihelmy, où celle-ci déclarait : « on s’est écrasés. C’est tout. » À force d’atermoiements, le référendum sur la souveraineté n’a eu lieu que cinq ans plus tard. Entretemps, la crise amérindienne avait dérouté l’actualité et plongé les Québécois dans une crise de conscience en leur rappelant qu’ils étaient, eux aussi, des colonisateurs. Depuis l’échec de 1995, la situation n’a eu de cesse de se dégrader pour le Québec. Incapable d’assumer l’échec de sa stratégie, le parti québécois demeurait au pouvoir et mettait la souveraineté en veilleuse, devenant un parti nationaliste vieillissant qui ressemblait de plus en plus à une sorte d’Union nationale. Finalement, en 2003, chose inconcevable, la lassitude des Québécois permettait à Jean Charest de prendre le pouvoir et d’amorcer un long règne consacré à saboter et démantibuler systématiquement tout ce qui faisait la force du Québec.

Des rétrospectives historiques de Radio-Canada ont présenté les deux référendums comme une passade de l’histoire du Québec faisant partie de l’histoire ancienne. L’expression « la belle province » s’est remise à pulluler dans la langue des journalistes. La « question nationale » est devenue un enjeu politique parmi d’autres dont « les électeurs ne veulent plus entendre parler ». Le pourrissement de la situation pour le Québec a-t-elle fait avancer l’appui à la souveraineté ? Aucunement. Aux prises avec une multitude de problèmes personnels, en raison de la précarité grandissante de l’emploi, de la perte de leur pouvoir d’achat, de la dégradation des services sociaux, les Québécois ont d’autres chats à fouetter. Jamais un sérieux coup de balai politique n’a semblé aussi nécessaire qu’aujourd’hui, mais la collectivité québécoise peine à rassembler les énergies nécessaires. Si la situation continue à se dégrader, cela risque de devenir encore plus difficile.

Évidemment, la perspective d’un gouvernement Harper majoritaire au Canada, ne comportant pratiquement pas de représentation québécoise, et d’une représentation toujours aussi forte du Bloc à Ottawa, est aussi un rendez-vous historique. Mais notre classe politique ne semble guère à la hauteur du défi. Le Bloc se contente de défendre sa position, son existence qui devait être temporaire, dans la perspective du référendum tenu en 1995, étant devenue une sorte de tradition. Les péquistes excluent de jeunes dissidents de leur congrès et ont honte d’être souverainistes au point d’hésiter à prendre la défense d’un site comme Vigile.net. Comment peuvent-ils répondre adéquatement aux stupides accusations d’antisémitisme lancées par Jean Charest alors qu’ils se sont eux-mêmes prêtés à la lapidation publique d’un membre fondateur de leur parti sous de fausses accusations d’antisémitisme ?

Les souverainistes québécois semblent croire que les choses vont se faire toutes seules, qu’un jour le fruit tombera de lui-même. Dans leur passivité, ils se contentent de défendre leur position et contribuent ainsi à porter au pouvoir un des pires gouvernements de l’histoire du Canada, comme s’ils étaient incapables de voir qu’il existe d’autres enjeux que la défense des intérêts du Québec.

Nous ne possédons pas les clés de l’avenir et nous ne contrôlons pas les grands mouvements de l’histoire. Il est impossible de prévoir la nature des bouleversements qui nous attendent et les effets qu’ils peuvent avoir sur notre situation. Mais une chose qui est certaine, c’est que nous devons toujours être présents et actifs, afin d’améliorer notre sort par tous les moyens, contre vents et marées, de défendre ce qui mérite d’être défendu, de construire et maintenir notre force à tous points de vue, et ainsi d’être prêts à saisir les opportunités lorsqu’elles se présentent. Nous devons être des acteurs de notre histoire. Un peuple qui est absent à sa propre histoire, qui se contente de se laisser porter, de résister sans avancer de projet ou de prendre d’initiatives, et qui compte, par une sorte de pensée magique, sur la dégradation de sa situation pour susciter un regain d’énergie qu’il ne parvient pas à trouver en lui-même, se condamne immanquablement à rater le coche.

M. C.

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Et ma réponse :

Excellent texte qui décrit bien mot-à-mot ma propre perception des choses, M. Collin.

J'aimerais cependant ajouter un léger bémol à cette phrase, qui se situe dans le dernier paragraphe : "Nous ne possédons pas les clés de l’avenir et nous ne contrôlons pas les grands mouvements de l’histoire."

Ceci était peut-être vrai jusqu'à tout récemment, mais comme je l'ai indiqué dans mes textes précédents sur Vigile.net à propos du concept de Démocratie 2.0, les technologies de l'information en général et l'Internet en particulier SONT ces clés de l'Histoire dont vous faites mention.  La Révolution dont je parle, et qui entre maintenant dans sa phase démocratique, c'est la révolution numérique, qui est en vitesse accélérée sur la révolution industrielle, qui elle s'est échelonnée sur environ une centaine d'années.  La révolution numérique, elle n'a véritablement débuté qu'il y a 15-20 ans, et n'est toujours qu'à ses premières heures.

Et pourtant, que de travail accompli!  Et en immense partie de manière complètement bénévole et libre (développement Code Libre, ou "Open Source").

Dans cet article, http://www.vigile.net/Du-choc-des-idees-nait-le-dialogue, où je décris brièvement certains des systèmes informatiques nécessaires afin de procéder à l'implantation d'un système politique de Démocratie 2.0 (c'est-à-dire une politique citoyenne participative où la principale règle de fonctionnement est : 1 Citoyen, 1 Voix, 1 Vote, Sur Tout, Tout le Temps), j'avais prédis entre 4 et 5 ans afin de procéder au développement des systèmes et les tests nécessaires sur le plan de la sécurité avant de les mettre en opération.  Hypothétiquement, j'avais posé pour ce faire comme condition une prise du pouvoir à Québec par l'entremise d'un parti politique, et qu'une fois au pouvoir, des fonds publics seraient investis dans des équipes de développements à cette fin, un peu comme le suggère Parizeau et Lapointe, finalement.

Ça, c'était au moment de rédiger cet article, il y a quelques mois de cela.

Entre-temps, en travaillant avec le groupe de personnes qui s'est jointes à moi sur ce projet, je suis tombé sur les quelques sites suivants, qui m'ont fait sérieusement reconsidérer les échéanciers que j'avais préalablement fixés :

- http://typo3.org/about/  : Idéal pour créer des sites webs de style "portail" qui regroupe des informations provenant de sources et de formats différents sur un seul endroit. Gratuit sous licence Code-Libre, comme tout ce qui est présenté ici.

- http://lexpop.org/ : L'outil qui est derrière l'encyclopédie mondiale et citoyenne en-ligne WikiPedia. Idéal pour écrire une Constitution ou des lois de manière entièrement ouverte, collaborative et démocratique. À mon avis, grâce à cet outil de collaboration en ligne, nous n'aurons pas besoin "d'élire" une assemblée constituante afin d'aller chercher notre légitimité, puisque cette légitimité s'exprimera par la volonté propre du Peuple qui aura tout le loisir de participer activement à l'élaboration de cette Constitution et des Lois qui vont suivre. Si, par exemple, 300 000 Québécois se mettaient activement à la tâche de rédiger une telle Constitution, ce groupe serait à mon avoir au moins autant "légitime" sinon plus que n'importe quelle Assemblée Constituante ou série de Consultations Publiques à-la-Commission Bouchard-Taylor.  Imaginez si 3 000 000 s'y mettaient!  Avec cet outil, c'est possible, comme le démontre WikiPedia.  Et on prend de l'avance sur la tournée récemment annoncée par Québec Solidaire!

- http://www.editgrid.com/ : Chiffrier électronique collaboratif en-ligne. Autre gros morceau du casse-tête, cet outil nous permettra de mettre en place les systèmes budgétaires transparents et collaboratifs du nouvel État du Québec 2.0.  Avec ceci, il est possible de réaliser les Budgets de l'États tri-dimensionnels en-ligne tel que décris dans l'article que j'ai placé le lien plus haut.

- Forums PHP : À utiliser de manière structurée de manière similaire à http://forum.gouvernement.qc.ca/index.php, afin d'y concentrer les discussions plus informelles (les "débats") de manière plus efficace et organisée qu'elles ne le sont présentement sur FB. Typo3 servira de "colle" pour intégrer toutes ces technologies au sein d'un seul et même portail.

- Les systèmes d'exploitation Linux et de base-de-données MySQL ont fait leur preuves quant à leur capacité de livrer la marchandise en terme de technologies d'arrière-scène pour compléter le tableau.

J'estime que tout ceci correspond à environ 80% de l'effort de développement informatique que j'estimais nécessaire lorsque j'ai publié mes premiers articles sur cette tribune.

Ne reste plus qu'à mobiliser la population et à superviser le développement du 20% d'effort informatique manquant avant que ce projet ne devienne une réalité.  Choses sur lesquelles je me concentrerai le mois prochain une fois installé dans la métropole.

Une réalité qui nous pend donc au bout des doigts.  Il n'en suffit qu'à nous tous, Québécois, de la saisir et de la faire notre.

Et je ré-itère mon invitation aux lecteurs et auteurs de Vigile.net à s'intéresser au projet Démocratie 2.0, parce que ce projet dépasse, et de loin, la seule sphère de la technologie, et pourrait bien être la clé de bien de vos interrogations politiques collectives actuelles.

Sincèrement, et encore félicitations pour votre article M. Collin,

Adam Richard
Porte Parole, Démocratie 2.0 - Québec

4 commentaires:

  1. En attendant le 20%, il serait temps que tous les partis souverainistes s'unissent pour établir une stratégie commune de prise du pouvoir, au lieu de s'entre-déchirer...une majorité souverainiste à l'assemblée nationale est absolument nécessaire...dans notre pays du Québec, il faudra bien une pluralité de partis pour représenter les opinions des citoyens de la gauche, du centre et de la droite...avec la façon dont les conservateurs nous traitent, il ne serait pas étonnant que l'appui à la souveraineté remonte au delà de 60% et il faut trouver le moyen d'en profiter.

    Richar Côté, citoyen écoeuré

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  2. Une fois les outils de Démocratie 2.0 perfectionnés, il faudrait qu'une ou des municipalités se portent volontaires, veuillent bien servir de cobayes pour les tester.

    A+

    Paul Racicot
    paulracicot@hotmail.fr

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  3. @Richard Côté : Question de l'accession au pouvoir et l'établissement d'une telle démocratie : en effet, ce n'est pas une question simple. J'ai joué pendant un temps avec l'idée de peut-être se servir du PQ pour véhiculer une telle idée comme redéfinition du projet de souveraineté, mais vu le peu d'accueil favorable à cette idée (à l'époque, il y a quelques mois de ça), j'ai tenté d'élaborer une stratégie qui agirait en dehors des partis politiques. Je n'ai pas eu beaucoup de temps depuis pour aller del'avant à fond avec cette stratégie. Depuis, avec la crise ua PQ actuelle, qui sait de quoi l'avenir sera fait?

    Une chose est sûre, le tout passe par la communication du projet, tant au niveau publicité qu'au niveau éducation populaire.

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  4. @Paul Racicot : Dieu merci je ne suis pas le seul à me pencher sur de telles réformes, et certains groupes sont assez avancés sur le plan technique. Je pense entre autre à quevecvote.ca du groupe de Roméo Bouchard, mais plus près encore de ce que vous proposez comme plate-forme de tests au niveau municipal, je suis récemment tombé sur http://montrealouvert.net/ qui tente d'agir directement au niveau que vous suggérez.

    Le défi pour les prochaines semaines/prochains mois sera de faire des liens entre ces différents groupes afin de concentrer nos efforts afin de partager nos expériences et compétences respectives.

    Un autre site digne de mention, et qui comporte des liens vers d'autres sources très intéressantes, http://govinthelab.com/.

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